Pour les "Croqueurs de mots", il convient de relever ce défi d'écriture.
1 Pour faire le lien avec la plage, déjà évoquée dans les précédents défis, je vous propose de nous raconter "des vacances".
2 Récit sous forme de votre choix. Seul impératif : utiliser toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, selon Isaac Newton, à savoir, telles les 7 notes de la gamme, les 7 couleurs suivantes :
rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet.
X X X X
On disait :" Vacances !"
Moi, je pensais : "vacant", "coeur vacant".
Je pensais : "vacuité".
"Vide au-dedans", par-dessous ma toile orange amère.
A bas-bruit, la tranche d'un livre me venait. Ou celle d'un poème : "la Terre est bleue comme une orange". Eluard. Un questionnement sans fin de ce vers que je tirais dans tous les sens, une sorte d'élastique près de mon coeur, et d'un coup, vlan ! Je basculais chez Rimbaud, le beau...
Des livres ! Les stations service en donnaient, il y a longtemps avec un plein d'essence. "Berrurier au sérail" de San Antonio, le premier sur la pile, sans doute. Une couverture bleue qui suintait le mauvais goût et le comique troupier. Ce type énorme avec une tête d'idiot centré dans l'image ne m'inspirait pas la rencontre au coin d'un bois ! D'ailleurs, même sur une aire d'autoroute, il sentait le négligé et la bêtise.
Moi, je préférais toujours Arthur et son trou rouge au côté droit, le dormeur du val éclaboussé pour toujours d'un soleil vert, qui n'en finirait pas de lui pleuvoir sur les mains.
Mon père était revenu de la cabine de la station-service avec "Berrurier". Il l'avait tendu à ma mère, ma mère à ma soeur, et ma soeur l'avait balancé sur la lunette arrière de la voiture, où, allez savoir ! il finit peut-être encore de jaunir doucement.
Pour être vraiment sérieux, je me demande bien ce qu'il est devenu ce livre bleu et jaune que le groupe Esso (oui, c'était Esso !) avait élu comme livre de plage.
Seulement nous, la plage n'était pas notre direction.
La plage, on la verrait pas. A moins que... Bah ! On s'en foutait finalement des châteaux de sable que nos mains ne bâtiraient jamais, dont les tours et les pinacles seraient emportés par la marée qu'on ne verrait pas non plus.
La marée, je l'ai eue dans le coeur, moi. Léo Ferré sur les lèvres.
On en faisait la remarque, année après année : ça bouchonnait toujours aux alentours de Bourges. Et Bourges, ça semblait moche ! Y'avait pas de raison esthétique à faire du cul à cul sur cette Nationale. Bah ! On s'en foutait encore. On se racontait des histoires, on avait chaud, on chantait parfois les chansons scout des grandes qu'elles nous avaient apprises. Je me souviens de "Fanny", de "J'étouffe dans la ville", et de celle-ci que j'aimais bien, à faire vriller ma voix et trembler le menton. Je chantais quand même :
" Ils ne sont plus les beaux jours de l'amitié,
tous nos copains ont quitté les cotonniers,
ils sont partis là où je serai bientôt,
j'entends leurs douces voix chanter
hé ! ho ! Vieux Jo !"
La mère avait acheté un bob pour chacune de nous, quatre gosses bien sages qui ne demandaient rien, ou si peu, si peu ! Le chapeau sur nos cheveux, elle était sûre que nos têtes ne prendraient pas un coup de chaud. Nous, ça nous leurrait un peu, ce chapeau à la mode de chez nous... On se sentait des airs de privilégiés qui allaient vers un Eldorado lumineux, on se sentait dans le mouvement de la France qui déménage avec ses transats et la bouteille Thermos sous le bras. On cherchait un Routier pour se rafraîchir la gorge. C'était les vacances, je vous dis !
Moi, ce que j'aimais, c'était quand on mettait les bouts en fin de soirée. On allait rouler toute la nuit. Mon père faisait la sieste l'après-midi du départ. Quand il s'endormait, on était déjà un peu partis, on bouclait les valises.
Je me disais que, tout à l'heure dans la nuit, je compterai les loupiotes sur des kilomètres, le regard emporté dans le mouvement des arbres, et je m'endormirai doucement sur le strapontin de la break, la tête contre la vitre, posée de guingois et toute penchée.
L'essentiel des vacances, c'était de partir ! D'être dans "un" mouvement.
Je savais bien qu'une déception viendrait. Je sentais monter en moi une espèce de chagrin. Mais je ne revendiquais rien, je ne nommais rien, je ne disais rien.
Je pensais à mon amie qui voyait la mer. Qui la voyait pour moi en quelque sorte. Ca me suffisait. Elle m'écrivait de Juan-les-Pins sur du papier violet, où figuraient des vagues et un coin de sable.
Moi, j'étais à Niort, short et bob, assise des heures sur un strapontin chez la grand-mère. J'avais horreur de porter un short. J'ai jamais aimé ce vêtement sans élégance et sans grâce. J'aimais mieux le falbala, les coquetteries, les petites fantaisies introuvables dans le catalogue "Vert Baudet".
La véranda où on s'installait bruissait d'amabilités sans amour, celles qui permettaient juste d'affirmer qu'on avait été voir Grand-mère, accompli le devoir filial, mais, quand même, ça avait coûté des sous trois semaines de location dans un bled à côté d'une ville morte. Niort , "ville fleurie", on disait. Pour ma part, je n'en avais rien à battre des pots de géraniums qui pendouillaient aux lampadaires de la grand-place.
Deux, trois fois, durant toutes ces années bénies, on allait au bord de la mer. Châtellaillon. C'était à Châtellaillon. On avait mis nos maillots entre deux portières ouvertes de la voiture et ma mère tendait une serviette pour nous faire croire à une cabine de bain. On enfilait le deux-pièces en éponge, qu'on retirerait de la même façon un peu plus tard, des taches de mazout sur la peau. On avait pourtant regardé où on mettait les pieds pour éviter les galettes de mazout brûlantes sur le sable.
Moi, j'avais surtout regardé les autres gens. "Tout à leur aise", je pensais. Et ce n'était peut-être pas vrai.
N'empêche, Juan-les -pins, c'était ailleurs !
N'empêche, j'avais vu la mer. Et mes soeurs aussi. On avait eu notre tour.
J'avais vu la mer...
...Et, allez savoir ! je sentais peut-être encore le vent d'Algérie sur mes jambes, à Oran.
Mes premiers pas contenus dans une ombre.
Sur une autre plage.
Devant une autre mer dont je ne savais plus rien.
Indigo. La mer, là-bas, devait bien être de cette couleur-là, oui.
Indigo.
A cause du vent des dunes, de la montagne,
celui des hautes plaines du Hoggar.
Et puis celui du Sahara,
du plus loin venu de la terre des hommes :
le désert...
Le désert.
Dans ses vagues tremblées
et ses mirages en feu,
sous un arc-en-ciel à ne pas y croire.