Imaginons un dégât intérieur en eau trouble. Un accroc dans l'écheveau intime, une relation capricieuse et terrifiante.
Imaginons des événements cafardeux, marécageux, nocifs à une sérénité de la vie.
Imaginons ce qui gémit au creux de toutes les générations...
C'est que les livres parlent toujours de traces à sauver, et puis de visages, et puis de mots enfoncés dans la solitude. Les livres, par le récit-même, écrit le réel humain et le creuse. Parce que le récit produit toujours du sens, grâce à l'énonciation, à sa structure et à sa langue, alors que le réel peut demeurer dans son caractère incompréhensible. Le réel est parfois tant dépourvu de signification, on ne comprend rien à rien, pas suffisamment de recul, de distance, de vide en soi, l'affectif nous bouffe tout entier. L'écriture, elle, va venir transformer la matière chaotique et désorganisée de la vie... Des chefs-d'oeuvre vont naître... tirés de la douleur, de la médiocrité de nos existences, de nos passions, de notre liberté, de l'expérience humaine, de nos épreuves.
Imaginons donc l'Epreuve. L'Epreuve (avec un grand E) qui malmène les jours.
Je me dis, (loin dans cette nuit, il est tard), que pour mieux vivre, pour vivre, mieux, il était absolument nécessaire de concilier la mémoire et l'oubli :
- la mémoire que l'on doit aux morts et aux vivants de notre histoire,
et
- l'oubli, que l'on doit à soi-même, parce qu'on se doit la liberté d'être dont chacun a droit.
Alors, seulement alors, il sera possible de s'élever au-dessus des saccages et de s'émouvoir de la vie. Une sorte de libération des émotions. Une simplicité des gestes possible, une balade, la tête tournée vers le soleil, devenir naturellement un tournesol. Juste parce qu'on aimerait ces fleurs.
Et puisque c'était l'anniversaire de Camus le 7 novembre dernier, je relis cette phrase tirée de "L'envers et l'endroit", je crois bien, que j'avais écrite dans l'un de mes carnets :
"Chaque fois qu'il m'a semblé éprouver le sens profond du monde,
c'est sa simplicité qui m'a bouleversé."