Il y en a des ritournelles... qui lancinent en soi
et sortent parfois de l'hivernage où elles étaient
tenues.
Avec une sorte d'innocence.
Nos ritournelles sont des blessures prêtes à s'ouvrir, prêtes à souffrir.
De l'amour heurté par-dessus un autre.
C'est cela "Ritournelle de la faim". Ce qui prend place en place de.
La Plate Forme a remplacé le Vel' d'Hiv. Une forme plate, vidée de ses fantômes. Un lieu neutre, paraît-il, où rien ne transpire de la peur et de l'ignominie des hommes.
C'est où le Vel' d'Hiv, je me suis souvent demandée ?... A Paris, doit bien y avoir quelque chose. Une plaque, au moins une plaque...
Le Clézio dit que ça s'appelle la Plate Forme, que des immeubles ont poussé sur le "site", que d'autres enfants jouent sur des marches et y chantent comme les petits qui, il y a plus de cinquante ans, y ont (peut-être) chanté aussi, ignorant qu'ils allaient mourir.
"Ritournelle de la faim", c'est la mobilité de la vie qui est comme une faim de ce qui a manqué, bougé, de ce qui vieillit, se transforme, s'étiole, de ce qui reste quand même.
C'est l'énumération des camps, des lieux de transit, des partances, des déplacements des illusions.
Respire ! C'est un bouleversement... Respire ! qui monte lentement une côte, haletant... Respire ! une ritournelle façon Boléro, vous voyez, une implosion des notes pour un final mémorable, une retenue d'abord pour l'histoire inoubliable. Ce qui clôt le livre de Le Clézio, remarquable, remarquable...
J.M.G. Le Clézio écrit :
"Je sais maintenant ce que signifiait cette phrase répétée, serinée, imposée par le rythme et le crescendo. Le Boléro n'est pas une pièce musicale comme les autres. Il est une prophétie. Il raconte l'histoire d'une colère, d'une faim. Quand il s'achève, dans la violence, le silence qui s'ensuit est terrible pour les survivants étourdis."