Considérons que la vie est une route.
Considérons qu'il y a beaucoup de routes.
Considérons que nous sommes, tous autant que nous sommes, dans notre petite auto de chair et de sang.
Considérons que la route est longue, avec des autoroutes, des nationales et des chemins vicinaux.
Considérons que conduire des heures et des jours durant est une fatigue. Considérons que le paysage est parfois ennuyeux.
Considérons que les pannes mécaniques surviennent.
Considérons que la petite auto devient une carlingue, pas encore une voiture pourrie, non, une carlingue, et qu'il est interdit d'en changer.
Considérons que chacun doit se débrouiller avec la même tout le long de la route.
Considérons que sur le chemin, on rencontre de bons mécaniciens et parfois des gougnafiers (y'a qu'à voir celui de Johnny Halliday, paraît qu'il était cher pour une révision très aléatoire ! Mon père d'ailleurs disait toujours que les mécanos, c'est rien que des voleurs !).
Considérons donc qu'une retape est parfois nécessaire.
Considérons que les arabesques filaires du moteur réclament parfois des sustances (essence, huile, antigel etc...) enrichies, pour des reprises alors spectaculaires en côtes ou en cas de doublage d'un camion poussif par exemple ).
Considérons qu'un arrêt, une simple halte sur le bas-côté herbeux peut prévenir d'une panne catastrophique.
Considérons tout cela...
Donc une halte. Entre les étapes.
Pendant que j'étais sur mon aire de repos, un livre à la main, j'ai retrouvé ce mot -là "déguisement".
Et je n'ai pas souri. Je n'ai pas imaginé Carnaval et ses serpentins, moi en Pierrot lunaire, un jour de mon enfance. Remarquez, j'avais pas choisi Pierrot, moi, à vrai dire, j'aurais préféré Colombine, seulement y'avait qu'un déguisement pour nous quatre, c'est ma grande soeur qui avait choisi Pierrot et il avait servi trois fois avant qu'il m'arrive "état neuf", d'où mon goût pour la fripe et autres déballe-greniers, allez savoir !
Non, je n'ai pas souri, pas pensé à Colombine ni à son ami.
Je me suis seulement demandé si on n'était pas tous dans l'obligation du déguisement, pour habiller nos tristesses, invisibles qu'elles sont alors au fond d'une poche intérieure, camouflées dans l'anse de la larme factice de Pierrot. Ne poursuivons-nous pas sur nos routes, de nos pas empêchés, "maladroits et honteux", nos pauvres chimères ?
Je regarde les voitures qui filent à toute allure et je ne comprends pas le sens du circuit.
Une fatigue me prend sur le bas-côté, je peux baisser le siège avant et dormir une heure ou deux, rester là quelques jours.
Oui, on m'a dit de faire ça en cas de...
De sortir les valises du coffre, de la malle on disait avant, et de les déposer à côté de moi.
De ne pas composer avec les virages, la tension des virages, les encombrements et la fatigue.
De se décomposer en quelque sorte.
N'allez pas croire qu'il s'agit là d'un malentendu avec la langue.
Non, se décomposer, veut dire "laisser faire" les choses, laisser faire le temps, laisser le temps faire les choses.
Alors, voilà, je suis là, recroquevillée un peu sur mon siège, à l'écart de la route que je vois si je tourne un peu la tête.
Dehors il a l'air de faire froid.
Parce que, même ici, parfois, je grelotte.