J'ai perdu mon caméscope. Arraché par une main qui se trouvait sur le trottoir en face de la voiture garée. Je filmais l'autre côté de la rue, l'entrée d'une boulangerie où personne n'entrait, et dans laquelle il n'y avait personne non plus. Donc pas de silhouette, pas de visage, pas d'ombre vivante dans mon champ de vision. Il ne se passait rien, mais ce rien est quand même toujours quelque chose. Il est 6h45 du soir. Fermeture des magasins bientôt.
On a tous fait l'expérience de la variable des regards. Dans un bus, dans un tram, au hasard d'un croisement. Il s'agit de toujours doser le regard pour le faire parler. Parfois il parle malgré soi. Il est interprêté par l'autre : doux, agressif, charmeur, dérangeant, séducteur, etc... On ne sait pas toujours où s'en va le bout de notre lorgnette.
Le caméscope est menaçant, comme un regard peut l'être. J'ai l'expérience de la peur. Les êtres font peur et agressent, quand ils ont peur eux-mêmes.
Et on ignore le point de basculement de la violence qui surgit.
Le caméscope est un oeil. L'objet-même représente LE regard, capable de voir et qui met dans sa boîte.
"Si elle filme ici, elle filmera peut-être là, et là ce pourrait être moi." La personne qui voit quelqu'un filmer autre chose que lui-même est aussi inscrite dans le paysage filmé. Il assiste. Il est en menace de l'image qui lui sera peut-être volée. Son paysage est volé.
Le caméscope devient alors un objet menaçant, provocateur, et, ...ben oui, autoritaire.
L'insupportable peut alors advenir. Une sorte de colère. On ouvre la portière de la voiture et on arrache l'oeil accroché au bout de ma main. Je n'ai pas vu venir ce monsieur. Je regardais la boulangerie déserte.
"Ici, il n'y a pas de paysage !" il a dit.
Moralité : Il vaut mieux s'attarder sur la devanture d'une librairie, les boulangeries sont dangeureuses.