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18 septembre 2009 5 18 /09 /septembre /2009 17:22

 



J'ai vu la douleur posée sur ses épaules.
D'abord de loin.
Elle était assise à son bureau, elle écrivait.
D'abord de loin, cette douleur.
"C'est terrible. C'est effroyable.
Je suis dans l'incroyable..." elle m'a dit.
Douleur et douceur confondues.

On reste, là, à côté de la douleur, 
ne pouvoir que ce peu des bras 
autour d'un corps perdu,
une enveloppe de chair qui ne sait plus être...
Dans l' attente d'une terre de sable et d'eau,
au bout des mondes, 
sa montre arrêtée.
Un bagage à main dans l'avion du retour,
un sac noyé de sel
et rien pour respirer...



Claire Seriès a perdu son mari cet été.
Depuis toujours, elle soigne les malades du corps et de l'âme, des femmes anorexiques qu'elle aide à se réparer avec une compétence intelligente et humaniste peu commune. Mes pensées l'accompagnent dans sa traversée du chagrin.
16 septembre 2009 3 16 /09 /septembre /2009 14:52



Toi, tu te tais toujours. Avec des mots humides.
Attends un semeur de tam-tam, une musique brutale à ignorer le vent,
la peau roulée sur son tambour,
des baisers envolés.

La gare, entourée d'un rond tracé au feutre rouge.
Au-dessus du rond... une flèche.
Bordeaux. Gare Saint-Jean. Un rectangle gris sur la carte.

"La musique ici consumera les brumes. On croit s'éloigner de soi, de chez soi, on retend seulement la corde du retour. Ressac inavouable, peut-être."

La ville, plus pesante que moi, à croire qu'elle pourrait m'écraser.

Pourtant, tu te souviens d'elle et du fleuve.
De ses briques lego inventées, d'un pont de fer tourmenté d'une rive à l'autre.
Tu n'as pas oublié qu'elle se déploie aussi dans des impasses,
près des abattoirs qui ont  brûlé,
les tags abandonnés aux crevasses des doigts,
des restes de révolte et de suie.

N'as pas oublié que les quais meurent avant la rocade, un grand huit et une ligne droite, Paris tout au bout.

N'as pas oublié que de l'autre côté, après les hangars et le pont du Pertuis, les terrains morts ramènent toujours le va et vient des vagues et des oiseaux.
Une rumeur atténuée que tes yeux pleurent.

Pourtant tu te souviens d'elle.
Tu te souviens d'elle.

13 septembre 2009 7 13 /09 /septembre /2009 18:34

Les objets ont leur vie propre. Certains objets. Ils sont parfois des présences, autonomes, vivantes. Eux qui se servent de moi.
C'est le monde à l'envers !
Peut-être qu'à l'envers, par un effet de perception, le monde s'appréhende mieux, il devient une abstraction critique, sensible jusqu'au creux de la main.

Voilà. La voilà qui arrive. Je savais qu'en courant, elle s'approcherait de moi, assise sur ma chaise devant l'ordinateur. Rien d'étrange à cela, n'est-ce pas ?
J'ai une cigarette au bout des doigts, et je me tiens à l'affût d'elle.
Je ne sais plus de qui, de quoi je parle tout d'un coup...

De ma main qui bouge et court sur le clavier, un ruban de fumée enroulé tout autour, bandeau grisâtre balancé dans le vide,
ou bien de la chaise qui me porte.

Rien à voir l'une avec l'autre, une chaise et une main !
A moins que ce soit la main qui me porte, et la chaise, sur ses roulettes, qui me tienne à la table pour écrire ici, une cigarette au bout d'un rouleau vaporeux dans une photo de Willy Ronis, mort hier soir.
 
Chaise, main...
Chaise/main...
La chaise, une main... 



Parce qu'une chaise n'est pas seulement une chaise, non.
Une main n'est pas seulement une main. Non, non !
Parfois même, c'est la tienne.

Une physique de la main accrochée à la chaise et l'inverse serait alors vrai !

L'envers du monde pour d'autres espaces, d'autres signes, d'autres lectures possibles.

Une cigarette collée au bout de nos doigts, un sfumato au plafond.
Alors surviennent, là, des perspectives aériennes, des dessins aventureux...
Une image pour toi, qui me lit.
Pour demain.

11 septembre 2009 5 11 /09 /septembre /2009 14:45

Lieux imprenables, imprenables ce jour, où, même sur la pointe des pieds, on souffre de déranger une manière de poésie. L'ordinateur est une commodité insuffisante.


On se
retire alors du champ, de l'angle de vue embrouillé de signes, on se décolle des touches.

On ne pourra pas grand chose. On le sait.
Un goût de café sur la lèvre dirait mieux la couleur du jour que les  mots qu'on poserait sur l'écran.


On voudrait écrire ce goût du café, et tout ce qui se tient dans les intervalles, sans indication de sens ou de code.
Ce qui fuit, devant.
Les mots.
Toujours en avance sur moi.
Peut-être.

Ces lieux en étrangeté.
Où on va.
Puis où je ne sais pas aller.

Peut-être,
des images en attendant. 
La table et le pot à crayons, une pile de livres qui se prend dans les filets du viseur. Une montre aussi en état de marche.
Puis... une autre table. Un autre pot à crayons. Des biblothèques...
Les choses et des événements, ici, peut-être réunis à la vie/à la mort.

Dans les livres.
Une allitération de livres.
Ce qui reviendrait dans une phrase, au coeur des mots.
Une répétition possible. Une manière de s'emparer de la langue.
Le même mot aussi pour entrer dans l'image.
Peut-être.
Un sésame en effraction, dans le milieu l'oeil.
Peut-être...

Peut-être.







9 septembre 2009 3 09 /09 /septembre /2009 18:32











La glace de la salle de bain.
Un reflet.
Ou un abîme.
Pas une mise en abyme, ça je sais bien que c'est d'une autre profondeur, d'un autre étonnement, une sidération recroquevillée qui se défroisse d'un coup. Tchac ! Comme une poche qui gonfle et dessine un visage.

Celui qui habitait là, là d'où j'écris, revient dans un écran de verre, et nous sommes là, nous,  à la place exactement où il venait s'asseoir.
Nous regardant le regarder nous regardant.
Ce mercredi 9 septembre, le 09-09-09, un jour qui n'arrive qu'une fois par siècle, il paraît, un jour à se piquer les doigts pour y croire, un jour à inscrire dans un calepin, dans un journal, que sais-je ? Jour à marquer de sa croix blanche.
Depuis l'écran, je vous dis, l'écran où il parle d'un livre, de troubles  et de chagrin, de sa pensée nourrie de loin. Un "testamour, ou le remède à la mélancolie".
Son portrait est accroché au mur, exécuté au fusain et à la pointe de charbon, un dégradé du gris pâle au noir sapotille, vous voyez ça. Un visage d'homme très doux, une vacillance dans les yeux, un point qui brille.

Dans le miroir de la salle de bain. Là.
Le présent a de telles abstractions, parfois !

Paraît que je ressemble à.... Alors je cherche une image, creuse la forme de...  la bouche et des joues, la ligne du menton, l'arc des paupières penchées, la couleur de laine aux cheveux...
Et si je ne trouvais rien au dessin  qu'une dissonance ?

Où s'en va-t-on quand on s'exile du cadre de soi-même ?
Quel temps nous porte quand on est ce jour, à cette heure, déjà 9 heures, déjà ? Ce 9  septembre 2009 à 9 heures ?
Quel espace pour se tenir ?
Dans quel écran passe-t-on ?
Un visage.
Reste encore
un visage.


3 septembre 2009 4 03 /09 /septembre /2009 17:31


On nous parle de rupture sociale, nos gouvernants aiment bien ça, s'allonger dans le drap de la rupture sociale, sur un lit où ils chavirent d'aise et de comblement d'eux-mêmes. Ils se reproduisent avec plaisir, reconduisant le malaise vagal des plus faibles, l'appauvrissement culturel et les différences entre les êtres.
A quoi cela tient-il ? Pourquoi ces ressources inégalement distribuées ?

Il n'y a pas de rupture. Les mêmes enchaînements sont à l'oeuvre et  le système fonctionne l'amble. Les mutations, que l'on pensait incontournables, (par l'informatique, la robotique, la génétique....)  sont bien pauvres quand on considère les constantes qui s'aggravent, en ces temps de rentrée scolaire.
Pierre Bourdieu le disait (c'était en quelle année ?) : "C'est parce qu'il y a des différences que ça paie, que les enfants des classes aisées réussissent mieux, et la réussite se transmet, en général, à travers les familles." Le capital social plus le capital culturel font le bagage de départ de chacun. Une langue mieux maîtrisée, une implication scolaire, des enfants récepteurs au savoir, l'accès à l'école, puis à la grande école, et les inégalités seront encore renforcées. De fait et en toute impunité.

La rupture n'aura pas lieu ! Le TGV est sur les rails depuis longtemps et passe des frontières folles qu'on ne savait pas exister. Les lignes sans démarcation ne sont plus des lignes. Des conduites méprisables dans des parures salies où meurent, une à une, les idées de justice.

Je sais des lumières, des heures, des fulgurances et des mots... justes.
Des tortillards sur des voies de garage. Un livre sur la banquette. Wagon-couchette si tu veux dans le filet des valises. Une photo de la place Arthur Rimbaud à Châlon-sur-Saône, la cathédrale aussi dans un cadre d'alu dont le verre s'est fendu côté gauche. La porte à coulisse sur le couloir où je fumais une cigarette.

Et cette éternité minuscule d'un regard qui scintille autrement, d'un chat qui rit, d'une fillette en cheveux qui te danse ses flammèches.

26 août 2009 3 26 /08 /août /2009 16:10

                                                                                            

 


          


 

 

 

 

 

 


 


 

 

 

 

 


 


 


          

 

 

Huile sur toile


Regarder attentivement, très attentivement  ce portrait.
Reconnaître là, au profond des yeux, mon amie Claire Massart.
Chercher dans la bibliothèque  "Dernières lettres à ma mère", ce livre incandescent, vertigineux, implacable et terriblement magnifique de son fils mort Thomas Mèneret. Des mots déchirants égrenés sur un fil qui ne le tenait pas.
En relire la préface, écrite par elle, en janvier 2008.  ..."Sa mort n'appartient qu'à lui. Nous sommes les spectateurs effarés de cette disparition, de son énigme."   Relire ses lettres, à elle, pour lui, " ce texte à deux voix qui devient monologue..."
Retourner au portrait.
Cette femme, elle, ses mains, tout ce visage saisi par l'artiste Lucie Geffré.

"Dernières lettres à ma mère"  de Thomas Mèneret, Editions Pleine Page
Lucie Geffré dont j'ai mis le lien pour accéder sur son site et découvrir son oeuvre
http://www.luciegeffre.com/

22 août 2009 6 22 /08 /août /2009 21:26


Je voulais savoir.
"- Dis, c'était comment Oran ? C'est vrai que la ville se confond avec la mer ?"
Ma mère me regarde et se met à sourire. Ses yeux ont des scintillements étonnés. Elle ne comprend pas tout de suite, ne saisit pas pourquoi je lui
parle de ces années soixante où le soleil dessinait des ombres mortelles sur les trottoirs d'Alger et dans les Aurès.
- Non, pas la guerre, pas la sale guerre, mais le paysage... C'était comment le paysage ?
Je lui dis qu' Albert Camus a habité ici, à Oran, rue d'Arzew, que la Peste se passe dans la ville, qu'il a eu le prix Nobel en 57, qu'il dit qu'il faut chercher la mer. Je lui dis que j'aime cet écrivain du peuple. Je lui dis que je suis bien heureuse d'avoir une géographie en partage avec lui.                                         
- En 1957, ah ! Ben, y'a pas longtemps alors !
Le temps, d'un seul coup, se suspend à d'autres fils. Le passé peut surgir, Camus a tendu, entre ma mère et moi, une passerelle invisible sur laquelle les mots peuvent se déplier et habiter des images.
Elle dessine le plan de la ville sur une feuille, écrit des mots avec des lettres tremblées "rue D'arzew", "Océan", "Boulangerie", "Montagne des Lions", "Mer toujours"...
- C'était comment la mer à Oran ?
- La ville est au bord de la mer.  La mer vient jusque là. On habitait aussi rue d'Arzew, tu vois. Y'avait pas de numéro ou bien je ne me souviens plus. C'était un bâtiment de la ville. Je fais une croix, là.  Depuis la fenêtre, on voyait la mer. Je n'ai jamais vu de couchers de soleil plus beaux que là-bas. Ton père mettait ses mains sur la rambarde du balcon, il s'y appuyait pour admirer le ciel.
- Et le vent, et le sable ? C'était comment ? T'aimais bien, toi, le vent et le sable ?
- Dans la maison, le vent apportait le sable. Le sirocco durait 7 jours. On disait ça, 7 jours, par saison, l'hiver je crois. J 'aimais pas le vent. J'ai jamais aimé ça, ça piquait les yeux et les jambes. 
 - Et la plage ? La plage, hein ?
- T'as fait tes premiers pas là-bas, sur la plage d'Oran.

Et émotion ! Sur moi, en moi, quand elle picote le papier de petits points noirs de la mine de son stylo.
Là, les petits points noirs, c'est moi.
Elle me regarde, et elle écrit,  "premiers pas de B."   
- B ? Qui c'est B ? 
Elle me regarde encore.
Elle reprend son stylo.
 Elle reprend. Elle.
 "Premiers pas de toi".


19 août 2009 3 19 /08 /août /2009 18:47



Il est des êtres qui m'enchantent, qui ne sont pas pour autant enchantés, dans l'enchantement des jours, je veux dire.
C'est bien tout le contraire, parfois.
La vie a écorché la peau, a laminé le coeur, a équarri les os. Et pourtant l'aigreur n'est pas venue ternir les lentilles du regard, les yeux sont devenus des loupes posés sur le monde. Ce qui est là autour  est plus important que jamais, avec ce réticule de vide pendu à la ceinture et qui accompagne les pas.
Je suis toute petite devant ces êtres qui savent ce que signifie "souffrir" et qui, à traverser la douleur, se sont constitués d'autres vies, on dirait. Pour rester vivant, avec ce compagnonnage quotidien, invisible, une évidence pourtant.
Il faut écouter. Prêter l'oreille. Entendre.
Deuil après deuil, les mots ont entretenu la gravité d'une drôle de légèreté, et j'imagine les hélices aériennes qui les portent. Tout glisse et pourra glisser infiniment.
A se demander ce que c'est qu'une vie ?
Peut-être en faut-il plusieurs pour que le sens advienne et les réunisse en une seule ?
Il fait chaud. Très chaud aujourd'hui. Une lourdeur de l'air que tu creuses.
Comme un hydroglisseur sur les eaux de l'océan.
Mon amie, Isabelle B.

14 août 2009 5 14 /08 /août /2009 16:40
Un supermarché, c'est pas franchement super, non. 
Encore que... J'ai vu des beautés dans un paquet de lingettes ou de serviettes en papier. Juste ajuster son regard sur une lunette et tout est différent.
Hier, c'était du tout moche. Du tout vilain. Tout sentait la laideur du monde. Tout. TOUT.
Un homme en chemise ceintrée, la soixantaine, bien dans ses sandalettes défendait sa place à la caisse. Y tenait mordicus à sa place, son caddie plein à vomir ! Personne allait lui voler, non mais ! se battrait pour ça s'il le fallait, dénoncerait celui qu'il soupçonnait déjà de ruse, le collabo ! Tiens, le vieil arabe, là, par exemple avec ses deux baguettes de pain, songeait sûrement à lui prendre, sa place. Mais allait pas se laisser faire et refaire, pas si bête l'animal ! 
Le vieil homme, le visage bas, me faisait des sourires dans la file. Je lui souriais aussi moi, histoire de se raconter l'attente, la touffeur de cette fin de journée pas top, la lourdeur d'un lieu sans poésie à s'inventer pour soi tout seul, vous voyez.
L'autre en chemise ceintrée, la soixante ajoutée d'une vingtaine de minutes, toujours plus à l'aise dans ses sandalettes à la noix, trouvait des façons de se regaillardir. Remontait les épaules et se haussait du col. Jetait de vilaines oeillades à l'arabe, et le tenait dans ses mirettes, se ferait pas avoir au cas où. Au cas où... Le voilà qui se met à vociférer
"Tu veux faire quoi, toi ? Hein ? Tu veux me passer devant, toi, hein ?"

Allez savoir, je ne sais pas tenir ma langue ! J'ai bredouillé que le tutoiement était insupportable, que ...  
Le vieil homme semblait ne rien comprendre à ce qu'il entendait. M'a regardé et m'a souri encore. Comprenait pas la langue. Moi non plus je ne la saisis pas tant j'ai honte parfois d'être dans la foule humaine.