Il pleut. "Mauvais temps !" j'ai pensé ce matin. Mauvais. Je n'avais pas quitté le roman. Hier, aujourd'hui. Depuis longtemps...Un livre épais. Pas facile à manipuler. A transporter. Je le transporte quand même. Je le pose, ne le quitte pas, jamais vraiment, je le feuillette, je reviens en arrière, j'avance ... d'un jour ou deux pas plus..., je relis des notes...Je garde, je regarde...
Le ciel implore le temps d'être bon... Et c'est tout un empilement d'heures qui s'emboîtent.
Des mots aussi. Une ligne d'écriture envoyée sur un écran....Et le roman fait écho au film. Brando meurt sur son balcon. On se recroqueville avec lui. On se fait le plus petit possible. On se tient les bras et le ventre. Dans l'air d'un balcon. Dans le mauvais temps qu'il fait là. Un "Dernier tango à Paris", en noir et blanc. Un film triste à mourir... C'est la nuit. Le début de la nuit et l'homme meurt.
Panique. Peur.
- S'il te plait, meurs pas ! Pars pas ! C'est idiot...La tête, les épaules, l'étreinte et cette force. Cette magie folle. Dis-moi ce qu'on va en faire ? Dis-moi où la mettre ? ... Et cette chape qui couvre tout. ...le désespoir...Rien n'est rationnel."
Je pose le roman. Je le reprends. Je relis des phrases. Des pages de phrases. Je ne sais qu'en faire, sinon y penser. Y penser.
"Personne, jamais, ne pourra raconter. Personne jamais, ne saura. Personne ne pourra savoir... Ton regard s'évadera plus loin que la fenêtre. Tu fixeras une feuille d'arbre, la table du jardin, un fauteuil...pour ne pas glisser vers un lieu vide... Jamais de bonnes raisons à quitter les gens qu'on aime... On s'insurge, on ne veut pas, on pleure. On est un enfant. Un enfant pleure dans un corps grandi. Il sait les lettres, les signes, il déchiffre chaque mot de l'histoire, il respire dans la nuit. Il pleure ?
- Est-ce que tu pleures en silence dans la nuit ?"
La vie tape et perd son écriture, deviendra mauvaise langue en bois de sapin, on sait bien tous ça, non ? ce grand trouble qui attend, cet effroi,... Merde, on sait bien !
"Viens ! Venez ! Tu es un enfant, une petiote chose, mon amour !"
Et Brando qui n'en finit pas de chanceler sur ce balcon à la gomme. Sur la même page de pluie, les mots ont mélangé leur encre. On ne se défend pas. Dans un roman, on a tous les droits.
"Dans ce film-là, je ne me défends pas. J'ai juste quelques mots et un paquet de larmes avec moi pour tenir debout."
Comment se remettre de cette histoire ? Brando tombe sur le balcon, et dedans il a mal. Ils vacillent ensemble. Personne ne comprend rien.
"On prend soin de ses personnages, les condamnés, (ceux qu'on est tous), et surtout de ceux qui vont mourir à la fin du livre." John Irving dit ça.
Il y a ceux qui vont mourir à la fin du film. On ne le sait pas d'abord.
Je reprends mon roman posé sur le lit, une table, le siège de la voiture... Avec moi partout. Pas quitté. Pas quitté. Il pleut. Ca étire le temps, la pluie. Maintenant Brando a une brillance dans l'oeil. Il fixe la caméra. Il a l'air complètement paumé. Ses paupîères soulèvent des visions folles. Il ferme les yeux. C'est le monde entier qui vacille. Il dit mot pour mot ce qui est dans le livre.
"Au début de notre histoire, on voulait tout. On croyait tout. Tout, sauf le désastre. Mais qu'est-ce que ça change ? Puisque je te touche....Puisque je te tiens. Jamais tenu quelqu'un comme ça... On est assis au bord du ciel, tous les deux et rien d'autre. Rien, même rien, ... ce sera à nous. Se respirer, se respirer la vie... et tant pis si on tourne pas rond ... Qu'est-ce que ça peut faire après tout ?"